jeudi 12 mai 2016 – 15H55

Depuis le début du mois d’avril, une guerre meurtrière a lieu dans le Caucase, le long de la frontière entre les territoires de l’Azerbaïdjan et du Nagorno-Karabakh. Le bilan actuel des morts avoisine    le nombre de cent. J’ai pu passer deux jours sur le front côté Nagorno-Karabakh, jamais  du côté adverse – on ne peut traverser la frontière  terrestre librement. Je raconte et analyse ici sans prendre position ce dont j’ai été le témoin.

Le Nagorno-Karabakh, qui connaît ? Ce territoire, de la taille du Liban,  se trouve dans le Caucase. Souvent l’on dit « Haut-Karabakh », j’ai tendance pour ma part à dire Karabakh tout court. Sur place, ces différentes appellations se côtoient, ainsi que celle d’« Artsakh », nom d’une vaste région de l’Arménie antique. N’ayant pu constater par moi-même ce qui se passe de l’autre côté de la frontière, ma vision de la situation est, de fait, subjective, mais ma volonté est impartiale et sans a priori.

Flash historique sur la phase soviétique

Certaines notions de base s’imposent pour comprendre la suite. Voici : l’URSS avait créé un système constitutionnel à trois étages. L’Union fédérait les Républiques socialistes soviétiques (RSS), censées administrer des peuples réels. À l’intérieur de ces RSS, et subordonnées à elles, et non directement à l’URSS, existaient des régions autonomes (Oblast), territoires d’ethnies assez modestes en nombre. La région autonome du Nagorno-Karabakh a une particularité en plus : elle est l’oblast d’un peuple déjà représenté par une RSS, l’Arménie soviétique, enclavée dans la RSS d’un autre peuple, l’Azerbaïdjan soviétique. Cet Oblast aurait sans doute dû tout simplement appartenir à la RSS d’Arménie. Après tout, un bout de la RSS d’Azerbaïdjan — le Nakhitchevan — se trouve, lui, totalement enclavé entre la RSS d’Arménie et la frontière turque. Dans un illogisme frappant, alors que le Nakhitchevan est resté azerbaïdjanais, le Nagorno-Karabakh n’a pas été relié à l’Arménie. La République d’Arménie en deux morceaux, la République d’Azerbaïdjan aussi. La RSS d’Azerbaïdjan avait donc tous les avantages, et l’Arménie aucun. Un machiavélisme évident de la part du Parti communiste d’Union soviétique : les Arméniens, décimés par la guerre génocidaire des Jeunes-Turcs, ne pouvaient refuser la protection et les conditions russes.

 

Le Nagorno-Karabakh était donc une zone très majoritairement arménienne, enclavée à l’intérieur de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, cette dernière jouissant d’une liberté d’action à l’intérieur de l’URSS lui permettant de mettre les Arméniens du Karabakh sous pression.

 

Depuis 1991, la guerre chaude puis froide

En 1991, les tensions entre le régime azéri (azéri désigne l’ethnie majoritaire d’Azerbaïdjan, cousins des Turcs, musulmans chiites) et les Arméniens de l’Oblast atteint son paroxysme. Une guerre frontale entre les deux républiques nouvellement indépendantes se déchaîne jusqu’en 1994. Elle se solde par le départ massif des populations des deux ethnies hors des zones où elles étaient minoritaires, Azéris vers l’Est et Arméniens vers l’Ouest, charriant plus d’un million de personnes malheureuses. La guerre du Karabakh devient le front dans la guerre plus vaste entre les deux États. À son issue, les Arméniens gardent 90 % de l’Oblast et gagnent le vaste corridor séparant l’ancien Oblast de l’ancienne RSS arménienne, effaçant ainsi les frontières dessinées par le parti communiste d’URSS.

 

État de siège permanent

Bien que s’étant déclarée indépendante, la république du Nagorno-Karabakh, constituée du territoire de l’ancien Oblast et du « corridor », n’est reconnue par aucun État souverain. Même la république d’Arménie s’en est abstenue, certainement par crainte de faire l’objet en représailles d’un assaut militaire de l’Azerbaïdjan. Quant à la république d’Azerbaïdjan, elle tolère le flou diplomatique que représente la situation actuelle, tout en revendiquant officiellement la totalité de l’ancien Oblast et du corridor, territoires perdus par les armes.

 

Le rêve azéri de reconquête plane le long de la frontière dite « ligne de contact » avec le Nagorno-Karabakh, en témoigne sa forte présence militaire, pourtant il m’a semblé que tous attendent et espèrent plutôt une issue internationale négociée. Une solution pacifique ouvrant sans doute sur des concessions territoriales mais aussi des compensations pour les dizaines de milliers d’Azéris chassés du territoire pendant la guerre de 1991-1994. Ces départs forcés ne sont pas niés par les Arméniens du Karabakh. Mais alors que de leur côté on parle de passage par des corridors humanitaires, du côté azéri on évoque un génocide.

 

Quoi qu’il en soit, la réalité d’aujourd’hui est que le quart azéri de la population de l’ancien Oblast est désormais réfugié à l’intérieur de la république d’Azerbaïdjan. Une diaspora du Karabakh version azérie qui nourrit un irrédentisme permanent.

 

https://www.opinion-internationale.com/2016/05/12/caucase-la-guerre-perlee-du-karabakh-a-bien-lieu_43871.html