En dépit de la protestation populaire qui occupe une place prépondérante dans l’actualité interne, les milieux politiques et diplomatiques gardent un œil intéressé sur les développements en Syrie. Le retour en force des Russes sur la scène syrienne, aux côtés du régime de Bachar el-Assad, rappelle la fameuse image qui avait frappé les esprits il y a quelques années et qui montrait le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le président Assad et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, côte à côte à Damas. L’idée était de montrer la nouvelle alliance régionale qui unit ces trois composantes.
Aujourd’hui, et en dépit de la guerre qui fait rage en Syrie et en Irak, on parle de nouveau d’une alliance entre la Russie, l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Hezbollah pour mener la lutte contre le groupe État islamique (EI) et le terrorisme en général.
Tous les pronostics et les interprétations des déclarations des responsables russes dans le sens d’un affaiblissement de l’appui de leur pays au régime syrien se sont évaporés face à l’implication claire et totale de la Russie en Syrie. Il ne s’agit plus simplement d’une livraison d’armes nouvelles et sophistiquées, mais d’un engagement sur le terrain et d’une tentative de restructuration des forces en place pour lancer de nouvelles offensives militaires. Selon un diplomate des pays des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) en poste à Beyrouth, la Syrie est un enjeu stratégique pour la Russie, et ce d’autant plus qu’il y a près de 2 500 jihadistes russes qui combattent aux côtés de l’EI et du Front al-Nosra. La Russie se sent donc directement menacée par la présence d’extrémistes musulmans autour d’elle et en appuyant le régime syrien, elle protège en quelque sorte ses arrières. C’est dans ce sens qu’il y a plus d’un an, elle a lancé une initiative pour un dialogue entre le régime syrien et l’opposition. Mais ce dialogue a tourné court à cause des pressions exercées sur certains groupes de l’opposition pour soit ne pas participer, soit refuser les propositions qui ne mettent pas en tête des priorités le départ de Bachar el-Assad.
Le diplomate des Brics précise que la Russie a alors décidé de tendre une perche à toutes les parties impliquées dans la guerre en Syrie pour proposer une coalition contre l’EI qui regrouperait, entre autres, l’Arabie saoudite, la Turquie, la Syrie, l’Irak, l’Iran et la Russie. Le ministre russe des Affaires étrangères en a aussi parlé avec son homologue américain John Kerry. C’est dans ce but que le vice-héritier du trône saoudien, le prince Mohammad ben Selmane, a été reçu à Moscou et que le chef de la Sûreté générale syrienne le général Ali Mamlouk a pu se rendre à Djeddah, mais aussi au Caire, aux Émirats arabes unis et à Oman. Ce projet a tourné court lorsque le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Joubayr a déclaré, à partir de Moscou, que la priorité pour le royaume wahhabite reste le départ du président syrien. Les Russes avaient fait les mêmes tentatives avec les Turcs et ils avaient aussi essuyé un refus. Ils ont alors décidé de renforcer leur alliance avec l’Iran, la Syrie et l’Irak pour éviter toute possibilité de renversement du régime et consolider les positions de l’armée syrienne. D’ailleurs, la presse israélienne s’est faite l’écho de ce changement stratégique russe il y a quelques semaines, en y ajoutant le fait que Moscou s’apprête à envoyer des forces spéciales en Syrie. De fait, selon les informations en provenance de Damas, il y aurait désormais 1 000 militaires russes en Syrie, déployés entre Tartous et Jablé, c’est-à-dire dans la province de Lattaquié. En même temps, les Russes et les Iraniens ont établi des contacts et une certaine coopération avec les Kurdes pour contrer une éventuelle offensive de l’opposition extrémiste appuyée par les Turcs dans le nord de la Syrie. L’armée russe a même effectué des manœuvres militaires engageant près de 90 000 soldats au large des côtes syriennes, alors que le président Vladimir Poutine recevait le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, pour lui demander de ne pas entraver les manœuvres russes dans ce pays. Lors de la conférence de presse conjointe, M. Poutine a même clairement déclaré à l’intention de son interlocuteur que le régime syrien et son armée étaient trop impliqués dans la guerre qui se déroule dans leur pays pour constituer une menace pour Israël… Une façon assez ferme de couper court aux tentatives de M. Netanyahu de brandir la menace syrienne et celle du Hezbollah pour justifier des opérations en territoire syrien.
Selon le diplomate des Brics, le président russe aurait donc demandé au Premier ministre israélien de limiter ses activités à une zone précise et de ne pas entraver les plans russes en Syrie. En même temps, les États-Unis ont annoncé l’échec de leur projet d’entraîner une opposition syrienne modérée, puisque des milliers d’hommes formés par les Américains, seuls cinq combattent l’EI, les autres ayant probablement rallié les groupes extrémistes. Enfin, « la tempête du Sud » annoncée à cor et à cri par l’opposition et ses parrains saoudiens et qataris à partir de Deraa semble avoir tourné court.
Dans le même sillage, le diplomate des Brics assure que les relations entre les Russes et les Iraniens se sont développées. Les dirigeants iraniens, l’ayatollah Ali Khamenei en tête, se sont empressés de rassurer les Russes sur le fait que la conclusion de l’accord sur le nucléaire ne signifie nullement que la République islamique d’Iran est devenue l’alliée des États-Unis. Les relations entre les Iraniens et les Russes sont donc stratégiques, alors que les relations entre les Iraniens et les Américains évoluent au cas par cas.
Toutes ces données montrent, estime le diplomate des Brics, que la Syrie (et à travers elle la région) est à la veille d’une nouvelle phase qui se résume par la fin du projet de faire chuter le régime syrien et son président. Les dernières déclarations du secrétaire d’État américain John Kerry et celles du ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius vont dans ce sens. Mais cela ne signifie pas pour autant que la guerre en Syrie est finie…
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