Après la fuite vers l’Allemagne des principaux responsables du Comité Union et Progrès, le gouvernement libéral turc qui succéda au gouvernement unioniste décida le 16 décembre 1918 la création de Commissions d’enquête pour l’instruction et le jugement des massacres des Arméniens ainsi que pour la recherche des responsabilités d’entrée en guerre.
Aussi, lorsque le Patriarcat arménien a été rétabli, après l’armistice de Moudros, un Bureau d’information (Déghégadou Tivan), a été créé pour collecter des éléments en vue d’un procès.
Des documents furent amassés: télégrammes chiffrés, documents officiels ainsi que des témoignages oculaires. Les provinces de l’Empire ottoman furent divisées en 10 régions et pour chacune d’elles furent désignés des procureurs, des juges d’instruction, des juges et des secrétaires de tribunal.
Dès le 8 janvier 1919, trois Cours Martiales furent formées à Constantinople.
Le 27 janvier 1919, durant le procès Mustafa Kemal avoua lui-même les crimes horribles et inconcevables des Pachas.
Pourtant, après la victoire des forces kémalistes, les procès furent suspendus le 13 janvier 1921 et les crimes se poursuivirent.
Plusieurs procès eurent lieu:
- Procès des membres du Comité central du parti Union et Progrès, des ministres et d’autres responsables centraux – Jugement rendu le 5 Juillet 1919
- Procès des responsables régionaux du parti – Jugement rendu le 8 Janvier 1920
- Procès des déportations et massacres dans le sandjak de Yozgat – Jugement rendu le 8 Avril 1919
- Procès des déportations et massacres dans le vilayet de Trébizonde – Jugement rendu le 22 Mai 1919
- Procès des déportations et massacres dans le faubourg de Büyük Dere – Jugement rendu le 24 mai 1919
- Procès des déportations et massacres dans le vilayet de Kharpout – Jugement rendu le 13 janvier 1920
- Procès des déportations et massacres d’Ourfa – Jugement rendu le 20 juillet 1920
- Procès des déportations et massacres d’Erzincan – Jugement rendu le 27 juillet 1920
Le 08 mars 1919, par ordonnance impériale du Sultan Mehmet VI, les responsables et chefs du parti Progrès et certains ministres sont arrêtés et déférés devant la Cour Martiale de Constantinople. Les principaux responsables sont cependant en fuite en Allemagne et d’autres ont été exilés sur l’île de Malte par les Britanniques dans l’attente d’un jugement.
La création d’une commission d’enquête administrative, la « commission Mazhar », au sein du Bureau de la Sûreté générale, par décret impérial du 21 novembre 1918, puis le mois suivant des cours martiales chargées de juger les criminels jeunes-turcs, entraîna l’instruction de nombreux dossiers. Dès sa formation, la « commission Mazhar » entreprit de recueillir des éléments et des témoignages en concentrant plus particulièrement ses investigations sur les fonctionnaires de l’État impliqués dans les crimes commis contre les populations arméniennes. Elle avait une capacité d’action assez étendue puisqu’elle pouvait assigner en justice, rechercher et saisir des documents, mais aussi faire arrêter et emprisonner des suspects en utilisant les services de la police judiciaire, voire d’autres services de l’État. D’emblée Hasan Mazhar adressa une circulaire officielle aux préfets et sous-préfets des provinces pour que les originaux ou des copies certifiées conformes des ordres reçus par les autorités locales concernant la déportation et le massacre des Arméniens lui soient remis. La Commission procéda également à l’interrogatoire sous serment de témoins. En un peu moins de trois mois, elle alimenta cent trente dossiers d’instruction, qu’elle transmit progressivement à la Cour martiale.
Les réactions observées dans la presse stambouliote lors des procès des criminels jeunes-turcs montrent que l’immense majorité de la population ne considérait pas ces actes comme des crimes passibles de sanctions. Il apparaît d’autre part que la cour martiale était avant tout soucieuse de faire porter la responsabilité des crimes commis sur un petit groupe d’hommes pour mieux exempter l’État ottoman de ses obligations et donner une certaine « virginité » à la Turquie qui s’apprêtait à signer un traité de paix avec les vainqueurs de la guerre.
Il faut enfin rappeler les préparatifs menés principalement par les gouvernements britannique et français, largement méconnus par l’historiographie occidentale, pour traduire devant un « Haut tribunal » international les criminels jeunes-turcs. Les catégorisations juridiques élaborées par la commission des Responsabilités et ses sous-commissions, siégeant dans le cadre de la Conférence des préliminaires de Paix, dès février 1919, si elles n’ont jamais été mises en œuvre pour punir les bourreaux jeunes-turcs des Arméniens, ont en revanche directement inspiré les juristes qui ont ultérieurement travaillé sur ces questions.
23 novembre 1918 : Une Commission d’enquête de l’administration est instituée par le sultan au sein des locaux de la Sécurité générale, sous la présidence de Hasan Mazhar bey, ex-vali d’Angora. Elle entreprend de recueillir des éléments et des témoignages en concentrant plus particulièrement ses investigations sur les fonctionnaires de l’État impliqués dans les crimes commis contre les populations arméniennes. En trois mois, elle instruit cent trente dossiers d’instruction, qu’elle transmet progressivement à la cour martiale.
*** (Dadrian, 1994:507).
24 novembre au 21 décembre 1918 : La Cinquième commission du Parlement ottoman, chargée d’enquêter sur les crimes commis durant la guerre, auditionne les membres du Comité central jeune-turc et des cabinets ministériels encore présents à Constantinople.
*** (Kévorkian, 2006:890).
08 janvier 1919 : Une cour martiale extraordinaire a été définitivement formée par décret signé du sultan afin de juger plusieurs catégories de criminels :
1) Les véritables instigateurs des crimes contre les Arméniens ;
2) Ceux qui ont travaillé dans l’ombre de ces responsables principaux, comme les membres influents du Comité central d’Union et Progrès ;
3) Les membres des organisations secrètes, comme l’Organisation spéciale, ainsi que les militaires de haut rang et les criminels extraits des prisons ;
4) Les députés qui n’ont pas protesté et ont acquiescé aux crimes commis ;
5) Les publicistes qui ont applaudi et encouragé ces crimes, exciter l’opinion publique par des articles mensongers et provocateurs ;
6) Ceux qui se sont enrichis en profitant de ces crimes ;
7) Les pacha et de bey qui ont encadré ces crimes.
*** (Dadrian, 1994:508-509).
29 janvier 1919 : Le Dr Resid, vali de Dyarbekir et Ismail Canbolat, préfet d’Istanbul, sont arrêtés.
*** (La Renaissance, n° 57, 5 février 1919)
03 février 1919 : La commission des Responsabilités des auteurs de la guerre et sanctions, créée par la conférence des préliminaires de Paix, tient sa première séance de travail. Elle a vocation à présenter des propositions pour les « cas non compris dans les dispositions réglementaires », dépassant les crimes de guerre codifiés jusqu’alors.
*** (Kévorkian, 2006:936-937).
05 février au 8 avril 1919 : Le procès des massacreurs de Yozgat se tient devant la cour martiale de Constantinople. Celle-ci condamne à mort le kaïmakam Kemal bey et à quinze ans de travaux forcés le commandant de gendarmerie Tevfik bey.
*** (T.V. n° 3617, 7 août 1919).
04 mars au 10 octobre 1919 : Damad Ferid pacha préside un conseil des ministres libéral.
5 mars 1919 : La commission des Responsabilités de la conférence des préliminaires de Paix remet ses conclusions. Dans son point trois, elle définit les « Actes qui constituent des violations des lois et coutumes de la guerre », en se référant aux normes préalablement établies dans la section IV E, de la convention de La Haye (1907) : terrorisme systématique ; meurtres et massacres (article 46) ; torture (article 46) ; emploi de civils comme boucliers (article 46) ; [atteinte à l’]honneur des femmes (article 46) ; confiscation de la propriété privée (article 53) ; pillage ; peines collectives, y compris l’arrestation et l’exécution des otages (article 50) ; contribution sans ordres écrits, sans reçus ou base légale (article 51) ; réquisitions entraînant une part à prendre dans des opérations militaires (article 52) ; saisies des biens appartenant aux communes et aux établissements d’instruction et de charité (article 56) ; destruction arbitraire de biens publics ou privés ; déportation et travail forcé (article 46) ; exécutions de civils sur fausses allégations de crimes de guerre. Pour punir ces forfaits, le rapport préconise, dans sa résolution, la formation d’un « Haut-Tribunal ».
** (Kévorkian, 2006:937-938).
10 mars 1919 : La police ottomane procède à l’arrestation de Said Halim, Hayri bey, ex-seyh ul-Islam, Musa Kâzım, seyh ul-Islam, Rifât bey, ex-ministre des Finances, Halil bey [Mentese], ex-ministre des Affaires étrangères, Ahmed Sükrü bey, ex-ministre de l’Instruction publique, Ahmed Nesimi bey, ex-ministre des Affaires étrangères, Ibrahim bey, ex-ministre de la Justice, Ismail Mustak bey, secrétaire général du Sénat, Habib bey, député de Bolu, Ali Münif, ex-secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Hilmi bey, député d’Angora, Ahmed Emin bey, député d’Istanbul, rédacteur en chef de Vakıt, Celal Nuri bey, rédacteur en chef de Atti, Osman bey, secrétaire général du ministère de l’Intérieur, Fethi bey [Okyar], ex-ministre des Affaires étrangères, président du Teceddüd, Salah Cimcöz, ex-député, Fuad bey, directeur du Téléphone, Sabancali Ismail Hakkı, éditeur de l’Istiklal, Izzet bey, membre du CUP, Hoca Hasan Fehmi, député de Sinope, Mustafa Resad bey, directeur de la section politique de la Police ottomane.
*** (La Renaissance, n° 85, 11 mars 1919).
20 mars 1919 : Arrestation d’Ahmed Agaoglu, membre du Comité central de l’Ittihad.
*** (La Renaissance, n° 94, 21 mars 1919).
27 mars 1919 : Arrestation de Cevad bey, commandant militaire de Constantinople, Yusuf Ziya bey, membre du Comité central jeune-turc, et de Necati bey.
*** (La Renaissance, n° 100, 28 mars 1919).
17 avril 1919 : Arrestation de Midhat Sükrü bey, secrétaire général du CUP, Kuçuk Talât bey et Ziya Gökalp, membres du Comité central ittihadiste.
*** (La Renaissance, n° 118, 18 avril 1919).
27 avril 1919 : Le procès des membres du conseil des ministres et du Comité central de l’Ittihad s’ouvre devant la cour martiale extraordinaire d’Istanbul. Celle-ci juge : Halil [Mentese] (ex-président du Parlement et ex-ministre des Affaires étrangères, membre du Comité central), Midhat Sükrü (secrétaire général du Comité central), Ziya Gökalp (recteur de l’Université d’Istanbul, membre du bureau du Comité central), Kara Kemal (ex-ministre du Ravitaillement, membre du bureau du Comité central), Yusuf Rıza (membre du bureau du Comité central, chef de l’O.S. dans la région de Trébizonde), Said Halim (ex-grand vizir, membre du Comité central), Ahmed Sükrü (ex-ministre de l’éducation, membre du Comité central), Giritli Ahmed Nesimi [Sayman] (ex-ministre des Affaires étrangères, membre du Comité central), Atıf bey (délégué du CUP, puis vali d’Angora et de Kastamonu, membre du Comité central), Ahmed Cevad bey (commandant militaire de la capitale), Ibrahim bey (ex-ministre de la Justice, alors président du Conseil d’état), Küçük Talât bey (membre du Comité central) 478. A ce groupe ont été adjoints ultérieurement, le 3 juin, Hayri effendi (ex-seyh ul-Islam, membre du Comité central), Musa Kâzım (ex-seyh ul-Islam, membre du Comité central), Mustafa Xerif bey (ex-ministre du Commerce et de l’Agriculture, membre du Comité central), ainsi que Ismail Canbolat (directeur général de la Sécurité, cadre du CUP), Abbas Halim pacha (ministre des Travaux publics, frère de Said Halim), Ali Münif bey (ex-secrétaire d’état à l’Intérieur), Hüseyin Hasim (ministre des Postes et Télégraphes) et Rifat bey (président du Sénat), en l’absence des principaux inculpés.
*** (T.V. n° 3571, 11 juin 1919, p. 127).
04 au 17 mai 1919 : Sept audiences sont consacrées au procès de six membres du Comité central de l’Ittihad, Midhat Sükrü, Ziya Gökalp, Ahmed Cevad, Küçük Talât, Yusuf Rıza et Atıf bey, encore présents dans la capitale.
*** (T.V. n° 3543, 12 mai 1919, p. 15-31, n° 3547, 15 mai 1919, p. 33-36, etc.).
22 mai 1919 : 41 inculpés jeunes-turcs sont libérés par la cour martiale de Constantinople.
** (Kévorkian, 2006:945).
28 mai 1919 : Les autorités britanniques décident de prendre le contrôle des cadres jeunes-turcs encore internés dans la prison de la cour martiale de Constantinople. Elles les embarquent sur un navire de guerre et les emprisonnent à Malte.
** (Kévorkian, 2006:945).
5 juillet 1919 : La cour martiale de Constantinople délivre un verdict qui vise uniquement les inculpés du procès des ministres jeunes-turcs. Elle condamne à mort par contumace : Talât, Enver, Cemal et le Dr Nâzım ; à quinze ans de travaux forcés Cavid, Mustafa Serif et Musa Kâzım.
*** (T.V. n° 3604, 5 août 1919, p. 217-220).
21 janvier 1920 : Une « Loi de restauration des propriétés arméniennes », comprenant trente-trois articles, est adoptée par le Parlement ottoman, mais ne sera jamais appliquée.
*** (T.V. n° 3747, 25 janvier 1920, p. 6, col. 1 et 2).
Printemps 1920 : Les services sociaux du Patriarcat arménien de Constantinople estiment que 6 000 femmes et enfants sont encore captifs dans les régions de Constantinople, Ismit, Bursa et Eskisehir, 2 000 à Karahisar, 1 500 dans le district de Bolu, 3 000 à Konya, 500 à Kastamonu, 2 000 à Trébizonde, 3 500 à Sıvas, autant à Kayseri, 3 000 à Erzerum, 25 000 à Dyarbekir-Mardin, 3 000 à Harpout et 5 000 dans les vilayet de Bitlis et Van.
*** (Kévorkian, 2006:929).
15 mars 1921, Berlin : L’ancien grand vizir Mehmed Talât, réfugié en Allemagne depuis novembre 1918, est assassiné par un militant arménien, Soghomon Tehlerian.
17 avril 1922, Berlin : Bahaeddin Sakir et Cemal Azmi sont abattus en pleine rue par deux militants arméniens.
25 juillet 1922, Tiflis (Géorgie) : Ahmed Cemal est assassiné par un militant arménien.
Le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919 entre les Puissances alliées et associées et l’Allemagne a été ratifiée le 10 janvier 1920.
Si l’on retient toujours le nom des quatre principaux responsables alliés (Wilson, Clemenceau, Lloyd George, Orlando), il ne faut pas oublier que les représentants de 27 Etats participent en fait à la préparation et à la rédaction du traité. Outre les responsables politiques, de nombreux « experts » sont également réunis au sein de 52 commissions.
05.02.2019
Arménag APRAHAMIAN
Président du Conseil National d’Arménie Occidentale